Peut-être êtes-vous, comme moi, tombés sur l'article de Libération du 9 janvier dernier et délicatement intitulé Le credo antisémite de Hugo Chávez. Dans ce texte signé Jean-Hébert Armengaud, on y apprend que le président vénézuelien aurait prononcé à Noël un discours dont un passage comporterait des connotations fortement antisémites, qu'on en juge :
il se trouve qu'une minorité, les descendants de ceux qui ont crucifié le Christ (...) s'est emparée des richesses du monde (...) et a concentré ces richesses entre quelques mains.
J'avoue qu'à la lecture de cette phrase, mon opinion a quelque peu vacillée. Ce fut même plutôt un coup dur quand on pense que ce qui se passe actuellement au Vénézuela (et peut-être bientôt en Bolivie) est une des rares raisons de rester optimistes actuellement.
Le lendemain, c'est au tour du Monde de titrer sur le même sujet : le centre Wiesenthal accuse M. Chavez d'antisémitisme. Cette fois-ci, la citation est légèrement plus longue :
Il y a dans le monde de quoi satisfaire les besoins de tout le monde, mais (il y a) des minorités, les descendants de ceux qui ont crucifié le Christ, les descendants de ceux-là même qui ont expulsé Bolivar d'ici et qui l'ont crucifié à sa manière à Santa Marta en Colombie. Une minorité s'est appropriée des richesses du monde.
Cette fois, la citation est un peu plus ambiguë, et on se demande un peu (et l'article le fait également) ce que les juifs auraient à voir avec Simon Bolivar. La conclusion du texte est un peu plus nuancée que celui de Libération, mais on imagine ce qu'en ont pensé ceux qui n'ont lu que le titre de l'article.
En fait, la citation exacte est beaucoup plus longue. Comme l'indique un billet du blogue de Jean-Luc Mélenchon, le texte complet du discours est téléchargeable sur Internet sous la forme d'un document PDF. On découvre alors, page 18, le passage incriminé :
El mundo tiene para todos, pues, pero
resulta que unas minorías, los descendientes de los mismos que crucificaron a
Cristo, los descendientes de los mismos que echaron a Bolívar de aquí y también lo
crucificaron a su manera en Santa Marta, allá en Colombia. Una minoría se adueñó
de las riquezas del mundo, una minoría se adueñó del oro del planeta, de la plata,
de los minerales, de las aguas, de las tierras buenas, del petróleo, de las riquezas,
pues, y han concentrado las riquezas en pocas manos: menos del diez por ciento de
la población del mundo es dueña de más de la mitad de la riqueza de todo el mundo
y a la... más de la mitad de los pobladores del planeta son pobres y cada día hay
más pobres en el mundo entero.
Traduction proposée par un article très complet sur le sujet du Réseau Voltaire :
Le monde appartient à tous, toutefois des minorités, les descendants de ceux-là mêmes qui crucifièrent le Christ, les descendants de ceux-là mêmes qui expulsèrent Bolivar d’ici et le crucifièrent d’une certaine manière à Santa-Marta, en Colombie ; une minorité s’est approprié les richesses du monde ; une minorité s’est approprié l’or de la planète, l’argent, les minéraux, l’eau, les bonnes terres, le pétrole, les richesses donc, et les a concentrées entre quelques mains : moins de 10 % de la population mondiale est propriétaire de plus de la moitié des richesses du monde.
Conclusion : tout était dans les (...). Que dire sinon que le texte de Chavez a été délibérément déformé pour lui donner des connotations antisémites ? Face à de tels agissements, le mot "journalisme" est bien vite remplacé par d'autres qualificatifs : "désinformation", "manipulation", ou "propagande".
Cette histoire aura au moins eu un mérite : si Chavez dérange à ce point, c'est qu'il y a sans doute de bonnes raisons de s'intéresser à ce qui se passe au Vénézuela et qui pourrait bien, qui sait, se propager un peu, du moins en Amérique latine.
Mise à jour : comme d'habitude, Acrimed vient de publier un excellent article qui fait un point complet sur cette affaire.