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mercredi 12 mai 2010

La domination adulte

Ce texte a également été publié sur le site Les mots sont importants.

Une domination cachée

Une domination sociale n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle nous apparaît comme «naturelle» et demeure en grande partie invisible. Les multiples rapports de domination qui structurent notre vie sociale sont visibles à des degrés divers : certains sont connus et reconnus (la domination masculine par exemple), d’autres ont été mis en évidence mais restent en partie cachés (on pourra citer la domination culturelle et symbolique). On sait aussi que mettre au jour un rapport de domination ne suffit en rien à le faire disparaître, mais c’est pourtant une étape nécessaire : il faut prendre conscience de quelque chose pour pouvoir commencer à lutter contre.

Or il existe au moins un type de domination qui reste aujourd’hui presque totalement invisible, que nous côtoyons pourtant tous les jours, et pour lequel nous avons tous été à la fois dominé et dominant : il s’agit de la domination exercée par les adultes sur les enfants.

Énoncer qu’il existe un rapport de domination des adultes sur les enfants peut sembler à la fois une évidence et une absurdité : une évidence, car on ne saurait nier que la position d’adulte confère globalement une position d’autorité sur celle d’enfant ; une absurdité, car cette position nous apparaît comme normale, naturelle et même positive. Elle s’appuie de plus sur des caractéristiques «objectives» : les enfants sont objectivement «dépendants», «fragiles», ce sont des «êtres en cours de formation» qu’il convient donc de «protéger», «d’éduquer», «d’encadrer», etc.

Il existe pourtant des signes clairs qui permettent de montrer que ce rapport adulte/enfant est bien un rapport de domination, qui plus est particulièrement violent.

Le statut inférieur accordé aux enfants est d’abord présent dans la manière de les nommer. L’enfant, étymologiquement, est celui «qui ne parle pas». Il appartient au monde des «petits». Jusqu’à l’âge de sa majorité, il est considéré comme un être «mineur». Par ailleurs, la plupart des appellations utilisées pour le désigner sont de l’ordre du péjoratif : gosse, gamin, morveux, chiard… Et celles-ci sont souvent considérées comme des insultes quand elles sont appliquées à des adolescents ou des adultes («bébé», «gamin», «ne fais pas l’enfant», etc.) [1].

Objectivement, l’enfant est évidemment dans une situation de dépendance quasi totale vis-à-vis des adultes, et en particulier de ses parents : pas de ressources propres, pas d’indépendance possible, pas de droit de regard sur les décisions le concernant, y compris jusqu’à un âge avancé. Une fois scolarisé il est soumis à des horaires et à une charge de travail très importants, comparables à ceux endurés par beaucoup d’adultes dans leur vie professionnelle. En-dehors de l’école il n’est jamais totalement maître de son temps et de ses activités car c’est en général toujours l’organisation et la volonté des adultes qui l’emportent («on doit partir, tu joueras plus tard»).

Typique de nombre de relations de domination, cette dépendance est d’ailleurs totalement «renversée» dans certains discours : on parle ainsi «d’enfant-roi» ou «d’enfant-tyran», tout comme on insinue parfois que les chômeurs sont des privilégiés ou que les immigrés sont coupables de racisme anti-français.

Une vision profondément négative de l’enfant

Les enfants bénéficient parfois d’une valorisation sur des aspects secondaires et limités, en général basée sur des attributs physiques ou des comportements conformes aux attentes : on les jugera «mignons», «adorables», «gentils», «polis», «bien élevés». Mais ces valorisations temporaires masquent en réalité une vision extraordinairement négative de l’enfant, et ce dès sa naissance. Dans la plupart des discours (médicaux, éducatifs, psychologiques), l’enfant est considéré comme un être qui va «chercher la faille», «tester les limites», et qui, si on ne lui impose pas un cadre contraignant, va «en profiter», accumulera les bêtises et les comportements égoïstes. Héritage d’une tradition judéo-chrétienne et psychanalytique [2], cette vision fait croire à un enfant porteur de «vices» ou de «pulsions», qu’il va falloir redresser et corriger par le biais d’une éducation rigoureuse. Ainsi, dès les premiers instants, le bébé qui pleure sera accusé de «comédie» et de tentative de manipulation auxquelles il ne faut pas céder, sous peine d’être par la suite totalement débordé et, à la limite, transformé en esclave de son propre enfant.

On trouverait sans doute là de nombreux parallèles avec d’autres formes de domination : on pourra citer les femmes, souvent réduites à leurs attributs physiques, et dont l’image reste souvent très négative (historiquement comme sources de péchés ou de tentations, aujourd’hui encore comme susceptibles de séduction, de manipulation ou de «bêtises» comme des dépenses excessives et futiles, etc.) ou les classes populaires, parfois valorisées pour divers attributs secondaires (le franc-parler, la convivialité, la force de travail…) mais fondamentalement extrêmement stigmatisées et implicitement soupçonnées de propension à la violence ou au racisme [3]. Une domination a en effet toutes les chances de paraître légitime si elle fait passer le groupe dominé comme potentiellement «dangereux».

La position dominée des enfants s’exprime aussi à travers la non prise en compte, voire la négation de leur parole et des besoins qu’ils peuvent exprimer. Bien souvent ces besoins ou envies sont considérés comme des «caprices», donc comme des demandes qui n’ont pas de valeurs en elles-mêmes. Un enfant qui a très envie d’une console de jeux se verra souvent accusé de «caprice». Un adulte souhaitant acheter un /iPhone/, beaucoup moins (encore que cette probabilité augmentera fortement s’il s’agit d’une femme).

Cette notion centrale de «caprice» commence d’ailleurs très tôt, y compris pour l’expression de besoins extrêmement fondamentaux (la faim, le besoin de contact ou d’attention) par les nouveaux-nés. Et elle concerne également la négation du chagrin ou de la douleur : la plupart du temps, lorsqu’un enfant tombe et se fait mal, les premiers mots prononcés sont «ce n’est rien, ne pleure pas». On se souviendra d’ailleurs que jusqu’à récemment les bébés étaient opérés sans anesthésie.

Enfin, la domination adulte s’exprime le plus brutalement par la maltraitance dont les enfants sont souvent les objets. Au delà des cas extrêmes (les victimes de viols ou de meurtres «passionnels» liés à des séparations sont presque exclusivement des femmes ou des enfants), les enfants demeurent le seul groupe social qu’on a légalement le droit de frapper [4]. On accepte encore aujourd’hui que les enfants soient battus, pour leur bien, comme on acceptait hier que les femmes soient battues, pour les mêmes raisons.

Et cela sans parler des violences psychologiques : insultes, cris, punitions, humiliations, qui sont monnaie courante à des degrés divers et le plus souvent parfaitement tolérées.

Une domination centrale

Tenter de faire apparaître la relation adulte/enfant comme un rapport de domination comporte une double difficulté : chaque argument peut apparaître soit comme une évidence, soit être immédiatement réfuté, y compris par soi-même, par l’idée que cet état de fait est peut-être regrettable ou excessif, mais qu’il est nécessaire, sous peine de conséquences négatives.

L’autre difficulté est qu’en tant qu’adulte, et encore plus en tant que parents, nous devons prendre conscience de cette domination en étant nous-mêmes dominants. Ceci passe alors par une remise en cause personnelle et un travail permanent pour ne pas se laisser aller à ce qu’on ferait souvent naturellement : se comporter avec ses enfants d’une manière qu’on n’accepterait pas de la part d’un homme envers une femme ou d’un patron envers ses employés.

Pourtant cette domination est une question particulièrement cruciale : nous l’avons tous vécue en tant que dominés étant enfants. Nous avons tous subis nombre de violences plus ou moins grandes, nous les avons acceptées et elles nous apparaissent bien souvent, en tant qu’adulte, comme nécessaires et positives. Or cette expérience et cette acceptation de la domination jouent certainement un rôle dans sa reproduction plus tard en tant qu’adulte, mais aussi dans son application à d’autres contextes et vis-à-vis d’autres groupes sociaux.

Sur le plan politique, enfin, tout ou presque reste à faire. En effet, à la différence d’autres types de dominations qui, à défaut d’être réellement combattues, ont au moins acquis une certaine visibilité (domination masculine, domination de classe, domination hétérosexuelle…), la domination adulte et la place des enfants sont des thématiques totalement absentes du champ politique. Les enfants ne sont présents, y compris dans les programmes de gauche, que par le prisme de l’école, de la santé ou des modes de garde. Avec une difficulté supplémentaire : si le plus souvent les dominés peuvent mener eux-mêmes le combat contre leur domination, dans le cas des enfants c’est presque impossible…

Au-delà des luttes pour les «droits de l’enfant» ou la «protection de l’enfance», qui visent en général à s’attaquer aux violences les plus flagrantes, un véritable travail de mise à jour et de construction politique est donc nécessaire si on souhaite aboutir progressivement à la fin des violences et à une égalité de considération et de traitement entre adultes et enfants.

Notes

[1] Pour une analyse plus détaillée on pourra se reporter au texte L’enfance comme catégorie sociale dominée.

[2] Pour analyse historique détaillée de la genèse de cette conception négative de l’enfant, voir l’ouvrage d’Olivier Maurel, Oui, la nature humaine est bonne !, Robert Laffont, 2009.

[3] Cf. la désormais célèbre citation de Nicolas Baverez : «Pour les couches les plus modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la violence, la délinquance».

[4] Sur la question de la violence physique sur les enfants et de son interdiction, voir le travail de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire.

samedi 13 janvier 2007

Deux perles

Une première il y a quelques jours :

- il faudrait que je le peinde
- que tu le peignes !
- ben non ! que tu le peignes c'est pour peigner !

Et une autre ce soir :

Moi je suis la reine, et toi t'es le rein !

jeudi 3 novembre 2005

Petit ours brun est un con

Oui, je parle bien du petit ours brun qu'on peut retrouver dans Popi et autre Pomme d'api, magazines pour chérubins de Bayard presse, éditeur catho (Pèlerin, La Croix, etc.).

Petit ours brun est un enfant bien. On sait pas trop quel âge il a, mais il a des aventures passionnantes (manger, aller se coucher, prendre le train) et porte des charentaises. La maman de petit ours brun est une femme bien. Elle incarne la féminité, d'ailleurs elle porte toujours des robes (de préférence à volants ou à carreaux), c'est elle qui fait la cuisine, et quand elle prend le train elle lit Art magazine. Le papa de petit ours brun est un gars bien. Il incarne l'autorité, d'ailleurs il a de gros sourcils. Des fois il tire les oreilles de petit ours brun, mais c'est quand celui-ci dit "non" trop de fois consécutivement.

Les dessins de petit ours brun sont aussi expressifs qu'un visage de Playmobil éclairé aux néons. Les histoires de petit ours brun sont aussi passionnantes qu'une aventure de Teletubbies sous morphine. D'ailleurs, toutes les phrases commencent pareil : "petit ours brun dit que", "maman répond", "papa va aux cabinets" (bon, celle-là, elle est assez rare). Mais c'est normal, car les enfants sont un peu bêtes. Il faut éviter de leur lire des phrases trop compliquées et trop variées, sinon après on a une jeunesse sans repères qui va se jeter dans les transformateurs électriques sans raison, comme ça, juste pour s'amuser.

Non, là, je divague. Ça m'étonnerait que les victimes de Clichy-sous-Bois aient beaucoup lu "Petit ours brun" quand ils étaient petits.

mardi 1 novembre 2005

Le panier à doudous trouvés

Le parc de la tête d'or, à Lyon, est l'un des parcs les plus beaux et les mieux foutus que je connaisse. Du coup, forcément, dès qu'il fait beau les allées se transforment en autoroutes, et dans le lot, de nombreux enfants en poussettes, sur leur tricycle ou en train de courir partout. Parmi ceux-ci, fatalement, un certain nombre en viennent à égarer leur doudou entre deux visites au zoo (sordide, vivement la réhabilitation).

C'est ce qui est arrivé à Emma il y a déjà plus d'un mois. La perte de sa girafe québécoise préférée avait été un peu dure à avaler, mais ça ne s'était pas trop mal passé. Malgré les recherches répétées dans le parc, à la police municipale ou chez les commerçants ambulants du coin, pas moyen de retrouver trace du doudou égaré.

Ça faisait donc un moment qu'on n'y pensait plus lorsqu'aujourd'hui, de nouveau en balade au parc, nous avons décidé de nous payer une crêpe au camion qui se trouve à côté des manèges pour enfants. Et là, voilà ce sur quoi nous sommes tombés (désolé pour la qualité de la photo) :

Le panier à doudous trouvés

...et dans le panier à doudous trouvés, on apercevait la tête de notre girafe favorite, coincée entre deux nounours et trois lapins. Bon, elle sentait un peu la pâte à crêpe et la friture, mais je peux vous dire que les retrouvailles ont été plutôt joyeuses et émouvantes.

Donc voilà, tout ça pour dire que si par hasard vous avez perdu un doudou ou une peluche dans le parc de la tête d'or, n'hésitez pas à faire un tour au camion qui vend des crêpes et des gaufres, dans le coin où se trouvent les deux manèges pour enfants. On ne sait jamais, y'a parfois des bonnes surprises !